Bilan du remodelage des épis


Le programme de remodelage des épis, pour rehausser la ligne d’eau d’étiage, a pu être mené à son terme et une dernière réunion du comité de suivi a eu lieu fin décembre 2015 pour faire la synthèse des résultats. C’est un sujet pour lequel la Sauvegarde de la Loire angevine a consacré plusieurs articles dans de précédentes lettres d’information mais il est apparu utile de présenter une vue d’ensemble de ce programme expérimental compte tenu de son importance. L’article, ci-après, n’a pas pour ambition de présenter dans le détail la somme des acquis durant les cinq années du programme mais d’essayer d’en rappeler les objectifs, les moyens mis en œuvre et les enseignements qui s’en dégagent.

 Durant le vingtième siècle, des interventions humaines ont entraîné un déséquilibre du fleuve dû à une modification importante de la morphologie de celui-ci. Les causes essentielles ont été :
-         La chenalisation du lit à l’aide d’épis mis en place au tout début du XXe siècle, puis rechargés en 1983, afin d’améliorer les conditions de navigation marchande sur la Loire.
-         Des extractions massives de granulats, après la seconde guerre mondiale. Durant les années 70, les extractions, en Loire-Atlantique et Maine-et-Loire, atteignaient plus de 5 millions de tonnes de sable par an alors que l’apport naturel est estimé entre 1 et 1,6 millions
-        Le creusement du bassin de marée, en aval de Nantes, pour favoriser le passage des navires de haute mer.

Toutes ces interventions humaines ont perturbé les équilibres naturels du fleuve, aggravant les phénomènes d’érosion et d’incision de son lit. La Loire s’est enfoncée avec, pour conséquence, l’abaissement de la ligne d’eau de 1 à 3 mètres selon les endroits. Cela a eu d’autres conséquences telles que l’augmentation des pentes et des vitesses d’écoulement, la déstabilisation d’ouvrages (quais, ponts), l’ensablement des bras secondaires et la déconnexion des annexes fluviales avec le bras principal, la remontée de la salinité et du bouchon vaseux.

Sur la base d’une étude de modélisation prospective de la Loire aval, le Plan Loire Grandeur Nature 2000/2006 prévoyait :
-   une réalisation expérimentale de seuils à Ingrandes/Le Fresne
-   une opération expérimentale de remodelage des épis
-   la création de seuils dans le bassin de marée.

En 2003, l’opération des seuils d’Ingrandes/Le Fresne a été engagée et, lors du comité d’estuaire de juin 2005, sous la présidence du Préfet de Région, le remodelage des épis a été adopté et les seuils dans le bassin de marée abandonnés compte tenu des résultats attendus très incertains.

A partir de ces éléments, l’opération de remodelage des épis a été lancée en 2009 sur un tronçon d’une dizaine de kilomètres entre le village de La Pointe, à Bouchemaine, et le pont SNCF de l’Alleud, à La Possonnière, sous la maîtrise d’ouvrage de Voies navigables de France (VNF) dans le cadre du Plan Loire Grandeur Nature 2007/2013.

 Objectifs et contenus du suivi expérimental.

L’objectif de ces travaux était de remobiliser une partie des granulats accumulés entre les épis afin qu’ils viennent rehausser le fond du chenal. Cette intervention a porté sur 79 épis.
-    Raccourcissement de la longueur de ceux-ci, de 10 à 50 mètres (réduction d’environ 30 % des longueurs initiales, selon les secteurs) pour élargir le chenal.
-    Abaissement de leur hauteur de l’ordre 0,50 mètre, soit à environ 12m NGF69 (1) Cette cote a été adaptée, pour certains épis, en fonction de la topographie réelle des ouvrages.
Les effets attendus étaient un rehaussement de la ligne d’eau de 25 cm pour un étiage de 300 m3/s, de 35 cm pour un étiage sévère (150 m3/s) et un effet nul pour la valeur médiane de débit (800 m3/s).

Afin de vérifier les effets de ces travaux, la durée du suivi, estimée à cinq ans, était soumise à deux conditions :
-   2 crues significatives avec un débit supérieur à 3100 m3/s à Montjean.
-   2 étiages significatifs avec un débit inférieur à 200 m3/s à Montjean.

Ces contrôles portaient sur :

Le suivi des effets directs concernant :
-   Les lignes d’eau,
-   La remobilisation des sédiments,
-   La répartition et la vitesse des écoulements.

Le suivi des effets indirects concernant
-   Les échanges nappe/fleuve
-   La faune
-   La flore
-   Les usages (navigation-pêche)
-   Les paysages

Si les débits inférieurs à 200 m3/s ont été assez régulièrement atteints, les débits supérieurs à 3100 m3/s n’ont été atteints qu’en 2013 et 2014 ce qui, toutefois, est resté compatible avec la durée de suivi initialement estimée à cinq ans.

Durant le déroulement du programme, plusieurs articles de la “Lettre d’information de la Sauvegarde de la Loire angevine” ont été consacrés au sujet, entre autres dans les lettres N° 47, 56 et 58.
Fin décembre 2015 s’est tenu un dernier Comité de suivi au cours duquel ont été présentés les résultats et enseignements de cette expérimentation.

Suivi de la ligne d’eau

Pour suivre l’évolution de la ligne d’eau, deux moyens ont été mis en œuvre :
-   le relevé des niveaux aux échelles limnimétriques présentes sur le site (La Pointe et La Possonnière) en fonction des débits relevés à Montjean qui est l’échelle de référence (point nodal).
-   la levée longitudinale des lignes d’eau dans le chenal, réalisée au DGPS (2) centimétrique, à des débits objectifs de 150,600,1500 et 3100 m3/s.

Il n’échappera à personne qu’il s’agit de mesures délicates entachées d’incertitudes pour plusieurs raisons. Les stations limnimétriques ont été installées pour ce programme, elles ne possèdent donc pas d’historique utile à l’analyse des observations effectuées et leur fiabilité a parfois été mise à rude épreuve. Celle de La Pointe fournissait des résultats ambigus selon que le débit était croissant ou décroissant.
Pour les relevés au DGPS, il convenait d’être au plus proche des débits de référence retenus.

La somme des relevés effectués durant ces cinq années de suivi, leur analyse statistique, les interprétations scientifiques prudentes ont cependant  permis de dégager les informations suivantes.

-  A La Possonnière, pour un débit de 250 m3/s à Montjean, le rehaussement de la ligne d’eau observé est de l’ordre de 20 à 30 cm. En transformant mathématiquement les faisceaux des mesures en courbes de tendances, le rehaussement est de 20 cm pour des débits compris entre 200 et 500 m3/s.
- Les mesures de niveau au DGPS permettent de constater, pour des débits de 285 à 330 m3/s, selon les campagnes de mesure 2011 à 2014, un rehaussement de l’ordre de 20 à 30 cm selon les lieux.

En conclusion, et avec toutes les réserves dues aux aléas de cette expérimentation, les effets du remodelage des épis sur la ligne d’eau d’étiage sont compris entre 20 et 30 cm de rehaussement.

Remobilisation des sédiments.

La remobilisation des sédiments a fait l’objet d’un suivi attentif et minutieux car c’est de celle-ci que dépend l’engraissement du chenal et donc son effet sur la ligne d’eau.

Pour ce faire, plusieurs moyens ont été mis en œuvre :
-   suivi topographique (LIDAR (3) ou DGPS) sur toute la zone d’étude, tous les deux ans, à l’étiage.
-   suivi bathymétrique local avec sondeur mono-faisceau et DGPS pour trois secteurs et vingt profils concernant les zones inter épis, le chenal jusqu’à la berge opposée.
-   granulométrie des sédiments et processus d’érosion/dépôt. Cent chaînes d’érosion ont été mises en place pour vérifier les érosions ou apport de granulats. Un échantillon de matériaux, au droit de chaque chaîne, est prélevé pour caractériser ceux-ci.

Dès la première année, il est constaté un fort impact sur le déplacement des granulats ainsi que lors des crues importantes de février 2013 et 2014. Toutefois, pour des débits de moindre importance le déplacement de granulats est aussi observé.
Au total, le déplacement de matériaux vers le chenal est évalué entre 322 000 et 570 000 m3 soit une hauteur moyenne de 18 cm.
Les grèves ont été profondément remaniées et redessinées, avec une tendance au déplacement sédimentaire vers l’aval.

Répartition des vitesses et des débits

Pour des débits, à Montjean, de 170 à 880 m3/s, la vitesse moyenne du courant varie de 0,37 à 0,97 m3/s. En ce qui concerne la répartition des débits entre bras secondaire (La Guillemette) et le bras principal, il est constaté, pour un débit total d’environ 850 m3/s, une très légère augmentation (quelques pour cent) en faveur du bras secondaire ce qui pourrait s’expliquer par la rehausse du lit du bras principal.

Les échanges nappe/fleuve

La nappe alluviale varie avec la hauteur d’eau de la Loire et la distance des points de mesure au chenal. Elle est toujours déphasée, lors des variations du niveau de la Loire, dans un sens ou dans l’autre, et le suivi a été interrompu car jugé non significatif.

L’avifaune

La modification des grèves par érosion engendre une diminution de leurs surfaces et, par là même, une diminution des surfaces de nidification et d’alimentation propres à certaines espèces. Cependant, après 5 années de prospection, aucune incidence n’a été identifiée sur l’avifaune ; ce sont avant tout les conditions hydrologiques qui règlent leur comportement.

Habitats et flore

S’agissant d’un site Natura 2000, le constat est une tendance globale à la modification des habitats :
-    la remobilisation des sédiments, auparavant plus stables, freine la revégétalisation des grèves,
-   la diminution des surfaces exondées, en période estivale d’étiage, impacte le développement d’espèces tropicales caractéristiques des grèves sableuses de Loire,
-   la remontée de la ligne d’eau, plus proche des berges, favorise le développement d’espèces invasives, amphibies et allochtones, (Ludwigia et Paspalum distichum).

Les usages (navigation pêche)

VNF procède au balisage hebdomadaire et publie des bulletins de navigabilité indiquant les profondeurs d’eau pour 11 points. Globalement, entre 1996 et 2014, à l’exception de 2007, il y a moins d’un mètre de profondeur d’eau près de 20% de l’année. Dans les cas les plus défavorables, en queue de l’île de Béhuard et à l’aval, les hauteurs ne sont que de 0,80  m. Par ailleurs, révélées par un balisage géoréférencé, les incidences portent sur une plus importante sinuosité du chenal.
Concernant la pêche, peu de données sont exploitables car la présence de pêcheurs dépend du temps qu’il fait, de l’hydrologie, des jours de la semaine, etc.

Les paysages

Une campagne photographique devait être réalisée afin de repérer les incidences sur la perception paysagère. Si les surfaces mouillées, par remontée de la ligne d'eau d'étiage, sont effectivement plus importantes, l'impact paysager est peu perceptible au regard des variations saisonnières et météorologiques habituelles. Par contre, l'effacement progressif des épis peut remettre en cause la valeur patrimoniale de ces aménagements inscrits dans la mémoire collective des riverains.  

Bilan global de ce programme.

Au terme de ce programme de travaux expérimentaux il apparaît que les objectifs initiaux de relèvement de la ligne d'eau à l'étiage ont été atteints sans entrainer une dégradation de l'environnement, au sens le plus large. En outre, cela est sans effet pour le niveau du fleuve lors des débits supérieurs à 800 m3/s, ce qui est important. De nombreuses informations ont été acquises par les scientifiques, les techniciens ainsi que par le maître d'ouvrage qui ont œuvré pour mener à bon terme ce programme. Cela signifie que des connaissances fondamentales ont été acquises ainsi que des savoir-faire mais la conduite du programme a fait émerger des améliorations qu’il conviendrait d’adopter lorsque le principe du remodelage des épis sera mis en œuvre en d’autres parties du fleuve.

Point de vue de la Sauvegarde de la Loire angevine.

L’association considère que le bilan de cette expérimentation est largement positif de par la somme des connaissances et enseignements qui ont été acquis. Certes, d’aucuns peuvent penser qu’un gain de 20 à 30 cm est insuffisant, mais la prudence a prévalu car il convenait de contrôler des évolutions géomorphologiques dans un environnement particulièrement délicat et mouvant...

(1) NGF69 : Niveau Général de la France, repère altimétrique par rapport au niveau zéro du marégraphe de Marseille.

(2) DGPS : GPS différentiel corrigeant les erreurs d’un GPS (Global Positionning Système).

(3) LIDAR : Télémétrie de la distance d’un objet à l’aide d’un faisceau laser

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